Ouarda Ferlicot,
À Nanterre, le 27 octobre 2022.
L'Oedipe, un mythe organisateur de la vie psychique
L’article du Figaro du 23 octobre 2022 par Aurore Aimelet, intitulé « L’Œdipe existe-t-il vraiment ? » questionne la viabilité d’un concept fondateur pour la psychanalyse. Seuls les psychanalystes et les psychanalysants peuvent répondre à cette question.
Mélanie Klein a surinvesti la technique de l’interprétation, s’éloignant ainsi de l’orientation de Sigmund Freud et s’est opposée à lui sur la question de l’envie du pénis et sur l’ignorance du vagin à l’âge infantile.
Quant à Carl Gustav Jung, il a cessé d’être psychanalyste à partir du moment où il a minimisé le rôle de la sexualité infantile dans les névroses pour développer ses théories sur les phénomènes occultes. Il est alors contraint de quitter la présidence de l'Association psychanalytique internationale (IPA) en 1914 suite à sa rupture avec Freud.
Jacques Van Rillaer évoque la question du protocole et le fait que « Freud ignorait les groupes contrôles ». Pourtant, c’est oublier que Freud était médecin et un brillant neurologue. S’il teste une nouvelle méthode de traitement avec les hystériques, qui rappelons-le, étaient enfermées dans les cachots de la Salpêtrière dans des conditions indignes, c’est parce que la médecine restait impuissante à les traiter.
Freud, en décidant de changer de méthode - écouter ce que ces femmes avaient à dire - découvre ainsi que la parole touche le corps et le frappe de son sceau. Pour cette raison, appliquer la méthode de groupe contrôle est vain. Il n’est pas possible de comparer une subjectivité à une autre, une histoire à une autre, une souffrance à une autre.
D’ailleurs, un événement traumatique de grande ampleur montre bien comment chaque personne réagit différemment et surtout montre en effet que des personnes n’en seront pas traumatisées du tout.
Ainsi, rappelons que les patients et psychanalysants qui viennent voir un psychanalyste ne sont pas des animaux mais des êtres ayant la prétention de devenir sujet. En psychanalyse, la subjectivité, la singularité sont reconnues et c’est cela qui permet à une personne qui souffre de construire une autre voie que celles promises par les passions œdipiennes avec les conséquences désastreuses quelles impliquent.
En conséquence, à la lecture de l’article, il n’est pas possible de valider l’étayage d’une telle affirmation sur le complexe d’Œdipe, à savoir que son « existence est loin de faire l’unanimité parmi les professionnels de la santé mentale » car le fait qu’il ne fasse pas l’unanimité ne l’empêche pas d’exister.
Le complexe d’Œdipe existe bien. Il est palpable dans la clinique psychanalytique et manifeste ses effets dans la relation à soi, à l’autre et dans le social. Qui a fait une psychanalyse peut en témoigner.
C’est à partir du mythe d’Œdipe et de la tragédie de Sophocle que Freud, dans l’interprétation des rêves, fait état de ce qu’il appelle le conflit œdipien, à savoir le désir pour le parent de sexe opposé et la haine pour le parent de même sexe. C’est la configuration classique mais il en existe d’autres.
Qui a lu la tragédie de Sophocle est saisi par la puissance de la dramaturgie empreinte de violence à la suite de la révélation de la vérité qu’Œdipe découvre dans sa quête sur ses origines. Cette vérité est si insupportable que les êtres parlants peuvent organiser leur vie selon trois mécanismes de défense que sont le refoulement, le déni et la forclusion.
Le mythe n’est pas une affabulation, mais un récit imaginaire nécessaire pour que l’homme puisse répondre aux énigmes que la vie lui impose comme la création de l’homme, l’origine du monde, la différence sexuelle et bien d’autres encore. En cela, le mythe nous renseigne sur des aspects de la condition humaine par la mise en scène de personnages magnifiés ou grandioses.
Nous devrions cesser de réduire le complexe d’Œdipe à une ambivalence de sentiment envers ses parents entre trois et quatre ans, qui peut être absente sans que cela en invalide l’existence. Par contre, ce qui est omis et que nous devrions rappeler, c’est la puissance des affects d’amour et de haine qui se développent devant l’insupportable de ce désir incestueux, ce dont témoignent la tragédie grecque et la cure psychanalytique.
Ajoutons que l’interdit ne vient que rappeler à quel point l’homme possède ce désir en lui et c’est bien pour cela qu’une loi morale s’édifie à la sortie de l’Œdipe : interdit d’inceste et du meurtre. Ces lois sont la base même de notre civilisation. Ce n’est pas une petite chose me semble-t-il.