
L’impact psychique du déni de grossesse sur la mère et l’enfant
L’article du quotidien Le Monde écrit par Nathalie Brafman et intitulé « Le déni de grossesse, un trouble fréquent et encore mystérieux pour les médecins »[1] daté du 28 février 2025 fait état des chiffres suivants : une femme sur 500 apprend qu’elle est enceinte tardivement et une sur 2500 s’en aperçoit au moment de l’accouchement.
Comment expliquer qu’une femme puisse être enceinte sans le savoir ? S’agit-il de déni ? De méconnaissance ?
Décrit dans l’article comme un « trouble de la gestation psychique », le gynécologue et obstétricien Israël Nisand indique que : « La définition est simple : c’est une grossesse qui évolue à l’insu de la femme, elle ne se sait pas enceinte. Or, s’il n’y a pas de grossesse psychique, il ne peut y avoir de grossesse physique ». En effet, le processus de développement physiologique de la grossesse s’effectue sans que le ventre n’en prenne la forme.
L’article parle de « passager clandestin » mais nous pourrions dire aussi une représentation clandestine insupportable pour être élaborée psychiquement devant l’angoisse qu’elle suscite.
La levée de ce déni produit un phénomène tout aussi troublant : « Dans un laps de temps très court, le corps se métamorphose, l’utérus reprend sa place sous l’effet du relâchement des muscles de la paroi abdominale, le ventre s’arrondit, la mère sent les mouvements fœtaux. »
Un autre chiffre nous alerte, celui d’une étude rétrospective : sur 75 dossiers de découverte tardive de grossesse à la maternité du CHU d’Angers, seulement 15 cas avaient manifesté des antécédents psychiatriques. Le déni de grossesse serait susceptible de concerner n’importe quelle femme.
Autrement dit, il y aurait lieu là de distinguer ce qui relèverait d’un déni, de la méconnaissance et de l’ignorance. Comment distinguer ces opérations psychiques qui semblent relever de réalité différente ?
Le déni consiste en « un refus de reconnaitre la réalité d’une perception traumatisante, essentiellement celle de l’absence de pénis chez la femme »[2]. Ce terme est employé par Sigmund Freud pour le fétichisme et la psychose.
La méconnaissance, selon Jacques Lacan, se distingue de l’ignorance en tant qu’elle « représente une certaine organisation d’affirmation et de négation, à quoi le sujet est attaché. […] Il faut bien qu’il ait derrière sa méconnaissance une certaine connaissance de ce qu’il y a à méconnaître »[3].
L'ignorance, elle se situe dans une relation avec le savoir et la vérité. Il faut un désir de savoir pour s'approcher d'une vérité.
Dans l’article, le témoignage de Charlotte Lefebvre rend compte du choc violent ressentit alors qu’elle accouche sans savoir qu’elle était enceinte.
Ainsi, avec le déni de grossesse, la réalité qui se rappelle tardivement fait courir un risque pour la mère et l’enfant : celui de ne pas avoir pu se préparer symboliquement pour accueillir l’enfant, celui de ne pas avoir pu développer une préoccupation parentale, celui de ne pas avoir créé de lien affectif avec l’enfant.
La parole dite en psychothérapie ou lors d'une psychanalyse peut servir à créer ce lien et à le tisser pour instituer la mère à sa position et l'enfant dans sa position.
[1] Brafman, N. « Le déni de grossesse, un trouble fréquent et encore mystérieux pour les médecins », Le Monde, le 28 février 2025, consulté le 05 mars 2025, https://www.lemonde.fr/intimites/article/2025/02/28/le-deni-de-grossesse-un-trouble-frequent-et-encore-mysterieux-pour-les-medecins_6569848_6190330.html
[2] Laplanche, J., Pontalis, J.-B., « déni », in Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967.
[3] Lacan, J. Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Éditions du Seuil, p. 261.
[4] Laplanche, J., Pontalis, J.-B., « déni », in Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967.
[5] Lacan, J. Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Éditions du Seuil, p. 261.